Drancy- Bobigny, une randonnée de la mémoire

Ita Malka mon arrière grand-mère-année 30's

Sur la commode de mes grands-parents, il y a un bibelot. Ils y tiennent beaucoup. Les 3 petits singes tous alignés. Si j'avais eu un marteau, je les aurai détruit tous les 3 tous d'un coup. Bang..

"Je n'entend rien semble dire le 1er, je ne vois rien dit le second , je ne parle pas dit le troisième"

J'aime poser des questions. J'en pose souvent. Mais pourquoi, mais comment mais avec qui...??? A ces questions, on me donne une gentille histoire, une histoire du soir pour s'endormir tranquillement, sans fantôme ni bourreau. J'en pose encore. Ils m'appellent le marteau piqueur. "Mais allais tu à la synagogue avant la guerre? Non ce n'est pas la peine, Dieu est dans mon cœur me répond ma grand-mère. Quand as tu su que ta maman ne reviendrait jamais? Dis, es tu déjà allée à Drancy? Ca ressemble à quoi d'abord? Ce n'est pas la peine, je te dis, tout est dans mon cœur et mon cœur est grand. Mais dis, c'est bizarre, des gens habitent vraiment dedans de nos jours???"

Puis, vint le temps des silences, où les questions n'ont plus de place, où tout semble être dit et acquis. Puis vint le temps de l'oubli. Des photos sans noms, des histoires tant de fois répétées et écoutées mais jamais vérifiées...

Alors il était temps...

Un soir d'aout je pianote sur mon site préféré de sorties culturelles, l'office de tourisme du 93. Visite de Rungis, complet, ballades nautiques sur le canal de l'Ourcq, complet.... Drancy-Bobigny, le parcours tragique d'un juif de France en novembre me tend les bras!!! Je clique. Allez 2 places! Je trouverais bien un compagnon. Pour aller à Drancy, il me fallait un soutien sans faille, une démarche citoyenne, un devoir de mémoire. Je n'ai rien préparé avant d'y aller, je me suis laissée porter. Et pour tout vous dire, ça c'est très bien passé.

Il fait un froid de canard en ce dimanche de Novembre. C'est un temps à rester chez soi bien blotti dans ses couvertures. Ni une ni deux, je monte dans la voiture de ma cousine. En 15 minutes, nous voici à Drancy.  On se regarde toutes les deux, on en mène pas large. Vraiment des gens vont venir pour une randonnée de mémoire??? On sera quoi, 5 à tout cassé? 

C'est avec le concours de la FFR et de l'association de randonnée CDRP du 93 que cette journée a été possible. 3 animateurs ont largement contribué à rendre cette visite unique: Alain Mangou, Jacques Dufour et Michel Marot. Ils sont des agents et anciens agents de la Police, de la RATP (ex STCRP) et de la SNCF et c'est sous cette casquette qu'ils vont nous guider dans cette plongée dans l'Histoire.
On est au moins 30 marcheurs citoyens au pied du monument aux déportés de Schlomo Selinger inauguré en mai 1976: tous les âges, hommes, femmes, peu de gens ayant des personnes directement disparues dans cette tragédie du 20ième siècle.

On est accueilli par Lucien Tinader, secrétaire de l'AFMA. Il nous présente le site et nous ouvre le wagon commémoratif.

67 000 des 75 000 juifs déportés sont partis de Drancy vers ce qu'ils appellent Pitchipoï la destination inconnue qui est en fait Auschwitz-Birkenau.Ita Malka  a été prise lors de la grande rafle du Vel d'hiv le 17 juillet 1942, elle a été arrêtée par des policiers français, est montée dans un bus conduit par un chauffeur français et s'est retrouvée au camp de Drancy tenu par des gendarmes français. Elle n'y est pas restée longtemps. Elle fait partie du convoi N° 12 parti le 29 juillet 1942. Elle est décédée le 3 août 1942. Sur les 1001 déportés du convoi, 5 sont revenus.

Drancy-Cité de la Muette.

 L'AFMA c'est l'association " fond de la mémoire d'Auschwitz" située au sein même de la Cité de la Muette. En fait je connaissais déjà. Mais j'avais oublié. Tous les dimanches midi, on allait manger chez mes grands-parents avec ma sœur. Ils étaient abonnés à l'AFMA. Et dès qu'ils recevaient le bulletin d'information,ils nous le montraient. "Tu devrais la lire, c'est très intéressant me disait ma grand-mère. Mais oui mamie, on a vu ça en cours." Je ne voyais pas plus que ça l'importance de m'y intéresser à l'époque.

"Un vent mauvais souffle sur notre société.Pour la première fois depuis la fin de l'occupation nazie de notre pays, il s'est trouvé 20 000 manifestants pour hurler des slogans antisémites et haineux tels que les juifs dehors. D'autres comme les musulmans, les franc-maçons et les homosexuels étaient également visés.Aux difficultés économiques dont souffre notre pays, un bouc-émissaire est tout désigné, c'est l'étranger.Dans notre travail de transmission de la mémoire, le volet antisémite et racisme est toujours enseigné." déclare Jacques Celiset dans l'édito de la lettre de février-mars 2014 à la suite de la manifestation de jour de colère.

André Berkover témoignage de survivant dans les bureaux de l'AFMA

"Voilà comment ça s'est passé" conclut André Berkover, 84 ans marié-2 enfants et 2 petits-enfants.Il vient de nous expliquer le plus simplement du monde comment à l'âge de 14 ans sa vie à basculé dans l'horreur. Comment d'une vie tranquille, avec ses parents et son frère ils vivaient dans un HBM ( habitation bon marché) entre porte de Montreuil et porte de Bagnolet. Comment son frère a été arrêté aux bains publics. Comment ils ont été arrêtés par la suite en retournant à l'appartement pour récupérer des affaires. Comment c'était surement leur voisin policier qui les aurait dénoncé. 

Drancy on y est resté que 2 jours explique - t-il tout en douceur comme si il y avait chez lui une forme de pudeur à nous dire les choses. Je ne pleure pas quand j'écoute André. J'ai juste des sursauts et des oh et ah qui sortent de ma bouche. 
80 par wagons. Des corps des évadés remis dans les wagons. Puis l'arrivée au camp. Voilà comment ça s'est passé répète-t-il. Il dit que bon il y avait les potos. 

Et puis il raconte la marche de la mort. L'arrivée dans un bois et tous en file indienne leur ordonnent les SS. Puis un à un ils sont abattus.Sa course dans la forêt, les balles qui sifflent et ses pieds gelés au 2ième degré. André veut vivre.Ses 2 jours cachés dans un clapier à poules dans une ferme de Polack et puis l'arrivée à Marseille le 10 mai 1945 et après un jour de train le retour à Paris.  

Voilà comment ça s'est passé."

Ancienne gare de déportation de Bobigny

Nous quittons la cité de la Muette pour nous rendre à la gare de Bobigny. En 15 minutes, nous y sommes. Nous traversons Drancy. Toutes les idées que j'avais sur cette banlieue tombent. Drancy c'est joli. Voilà c'est dit. Des petites maisons, des jardins. On s'y plairait presque.

Si le site est si bien préservé aujourd'hui, il faut remercier le fait qu'un ferrailleur s'installe après la guerre sur les 3,5 hectares. En 2005, après le départ de celui-ci, le site devenu Monument historique est réaménagé. A partir d'aout 1943, 22 407 hommes, femmes et enfants sont déportés en 21 convois.

 

J'ai visité Drancy et Bobigny il y a presque un an déjà. Je n'arrivais pas à écrire dessus depuis. Pourtant cette visite a été cruciale dans mon engagement et dans ma réflexion en tant que citoyenne. Récemment ma mère m'a montré un petit bout de papier tout jauni. Il est pas très bien conservé et pour le déchiffrer il faut connaître un peu le contexte.
C'est la dernière lettre d'Ita Malka à ma grand-mère daté du 21 juillet 1942 soit 4 jours après son arrivée à Drancy.

 Ita Malka ne savait pas écrire en français et elle le parlait mal. C'est quelqu'un qui la lui a écrite. Elle a juste signé le bas de la page. "Chère fille je suis en bonne santé. (...) ne vous inquiète pas pour moi, je suis en bonne moral et on mange assez bien. Je te demande chère fille fai de courage et part pas à la campagne, reste près de la famille(...)Je vous embrasse Ita Skrzydlak"

Heureusement ma grand-mère a fait ses valises et a passé la ligne de démarcation toute seule. 
Heureusement elle a retrouvé son père à Avignon. 
Heureusement elle est tombée amoureuse sur le pont d'Avignon. 

Un grand merci à l'office de Tourisme du 93, André Berkover pour son témoignage poignant et sincère, à l'association C.D.R.P 93, Alain Mangou, Michel Marot et Jacques Dufour pour leur implication et leur dynamisme dans ces rencontres, l'AFMA, Lucien et Micheline Tinader pour leur accueil dans les locaux et leur disponibilité, et à ma cousine Lucile pour m'avoir accompagnée dans cette journée.

Pour aller plus loin, RDV sur le site de Office du Tourisme du 93: Visite de Bobigny et de Drancy. 
Pour découvrir le témoignage d'André Berkover: son livre témoignage est disponible au mémorial de la Shoah: André Berkover, matricule A16572 - Auschwitz III - Monowitz 
Pour découvrir l'AFMA et leurs actions auprès des publics: Site internet de l'AFMA.